Témoignage de Katerina

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Atelier Goûter sa Note

Explorer la créativité en soi

TÉMOIGNAGE DE KATERINA

« Vivre dans un autre pays et ne pas pouvoir parler ta langue, soit pour faire des trucs quotidiens soit pour revendiquer tes droits soit pour te rapprocher et exprimer ton amour, ce n’est pas toujours facile. Comment pourrais- je exprimer mes peurs, mes désirs en utilisant ma langue et en étant comprise par des gens qui ne la parlent pas dans ce nouveau pays ?

La première fois, dans la pièce noire, il y avait un micro, des chaises, une contrebasse et un nyckelharpa. Ingrid avec ses instruments, les autres assis sur les chaises. Une par une, on se lève. Chacune à son tour a le micro pour 3 minutes. Pendant ces minutes les personnes assises sur les chaises écoutent, Ingrid touche ses instruments et des rivières tombent. Les yeux fermés.

Nous, perdues dans le son, retrouvé.e.s dans la musique. Cette musique, comme de l’eau, qui creuse et découvre nos mots dans des endroits du corps qu’on ne connaissait pas. Des mots qu’on ne savait pas qu’ils existaient. Qu’ils se préparaient pourtant longtemps pour y sortir. Musique et mots, ensemble dans la rivière, deviennent l’eau, quelques fois j’oublie qu’ils peuvent se différencier, d’autres, je les vois danser ensemble comme des créatures distinctes.

Au début, le silence. Ou, pour être plus précise, l’air qu’on respire. La première personne se lève. Elle commence à parler dans une langue que je ne comprends pas. Je ne comprends pas le sens des mots. Mes yeux sont remplis de larmes. Un geste de la personne, directement de son ventre. Dans l’air circule le sens. Il peut toucher ma peau, mon ventre aussi. Je me lève. Derrière le micro maintenant. J’écoute bien. J’attends. Tout un coup, la rivière de la musique commence à découvrir les mots de mon ventre. Les mots ne peuvent pas s’arrêter. Je parle dans ma langue. Je vole.

C’est la première fois que je parle dans ma langue à des personnes qui ne la comprennent pas en parlant vraiment à elles. Je ne suis pas seule. Je sens qu’iels comprennent. Quelque chose change dans la pièce. Quand je veux, je mets des mots, des phrases, desquelles le sens quelques unes comprennent, d’autres pas. Les langues se mélangent, les dispositifs aussi. J’écoute Ingrid et ses mains. Elle joue comme si elle comprenait tout. Elle me guide, après c’est moi qui la guide, après je ne peux pas distinguer. Des eaux mélangées. Quelque chose change dans la pièce. Les personnes sont présentes, je ressens qu’elles me prennent dans leurs bras, qu’elles disent « je comprends », « toi », « tes langues », « tes paysages », « ton histoire ».

Je ne pense plus aux mots. Ils viennent. J’existe. Je suis libre. »

Extrait – texte et voix de Katerina Antonopoulou-Wiedenmayer (juillet 2022)